Sur les 23 contrats d'infogérance que j'ai audités en 2023, l'écart entre le budget prévisionnel (ce qui était dans le devis) et le coût réel (ce qui a été payé sur 12 mois) allait de +15% à +180%. Oui, 180%. Et ce n'était pas de l'arnaque : c'était de la sous-estimation systémique.
Les prix du marché : ce qu'on vous annonce
Commençons par les chiffres qu'on vous donne en phase commerciale. Ce sont les tarifs « catalogue » que vous trouverez dans la plupart des propositions.
| Type de prestation | Fourchette basse | Fourchette haute | Médiane constatée |
|---|---|---|---|
| Infogérance poste de travail | 25€/poste/mois | 80€/poste/mois | 45€/poste/mois |
| Infogérance serveur (physique) | 150€/serveur/mois | 500€/serveur/mois | 280€/serveur/mois |
| Helpdesk N1-N2 | 15€/utilisateur/mois | 40€/utilisateur/mois | 25€/utilisateur/mois |
| Supervision 24/7 | 500€/mois | 2 000€/mois | 950€/mois |
| Cybersécurité managée (MSSP) | 30€/poste/mois | 120€/poste/mois | 55€/poste/mois |
(Ces chiffres sont issus de mon analyse de 40+ propositions commerciales reçues par mes clients entre 2022 et 2024. Ils ne constituent pas une étude de marché exhaustive.)
Les coûts cachés : ce qu'on ne vous dit pas
Le problème, c'est que ces prix « catalogue » ne reflètent jamais la réalité. Ce que les commerciaux ne disent jamais : le devis initial représente rarement plus de 60 à 70% du coût réel la première année.
Mon observation terrain : sur les 23 contrats audités en 2023, le dépassement moyen la première année était de 42%. La principale cause ? Les « hors périmètre » non anticipés.
Les postes de dépassement les plus fréquents
Frais de setup / migration
Rarement inclus dans le forfait mensuel. Comptez 1 500 à 5 000€ pour une PME de 50 postes. Certains prestataires le « noyent » dans un engagement longue durée.
Impact moyen : +8% du budget annuel
Interventions hors forfait
Tout ce qui n'est pas explicitement dans le périmètre est facturé en sus. Nouvelle imprimante ? Hors forfait. Migration de boîte mail ? Hors forfait. Assistance utilisateur le week-end ? Hors forfait majoré.
Impact moyen : +15 à 25% du budget annuel
Licences et outils tiers
Les outils de supervision, antivirus, backup cloud sont parfois refacturés avec une marge de 20 à 50%. Vérifiez toujours si les licences sont incluses ou en sus.
Impact moyen : +5 à 12% du budget annuel
Indexation annuelle
La plupart des contrats prévoient une indexation sur l'indice Syntec (ou équivalent). En 2023, c'était +5,8%. Sur un contrat de 3 ans, l'impact est significatif.
Impact moyen : +4 à 6% par an composé
Coût de réversibilité
Quand vous quittez votre prestataire, l'accompagnement de sortie n'est jamais gratuit. Comptez 4 à 7 mois de forfait pour une réversibilité propre. Et si vous n'avez rien négocié, vous êtes en position de faiblesse.
Impact en sortie : 15 000 à 50 000€ pour une PME
Trois cas réels (anonymisés)
Pour que vous puissiez vous projeter, voici trois situations réelles que j'ai accompagnées. Les montants et contextes sont réels, seuls les noms ont été changés.
PME industrielle - 85 postes - Loire-Atlantique
Contexte : Technicien interne parti à la retraite, urgence de trouver une solution.
Devis initial : 4 200€/mois tout inclus
Coût réel Y1 : 4 850€/mois (+15%)
Écart : Migration Exchange non prévue (3 800€) + 2 interventions week-end
Satisfaction : Très bonne. Relation de confiance établie.
Budget maîtrisé grâce à un bon cadrage initial.
Cabinet d'expertise comptable - 45 postes - Rennes
Contexte : Premier contrat d'infogérance, aucune expérience préalable.
Devis initial : 2 800€/mois
Coût réel Y1 : 4 100€/mois (+46%)
Écart : Périmètre mal défini. Helpdesk saturé car pas de limite d'appels. Projets facturés en sus.
Satisfaction : Moyenne. Renégociation en cours.
Le prestataire n'a pas triché, mais le client n'a pas challengé.
PME négoce - 120 postes - Finistère
Contexte : Changement de prestataire pour « faire des économies ».
Devis initial : 5 500€/mois (vs 7 200€ chez l'ancien)
Coût réel Y1 : 9 200€/mois (+67%)
Écart : Reprise de dette technique non anticipée. Incidents à répétition. Turnover techniciens.
Satisfaction : Catastrophique. Résiliation anticipée + contentieux.
Coût total de l'erreur : 80 000€ (réversibilité + contentieux + rattrapage).
Je me souviens encore de ce dirigeant qui m'a appelé en catastrophe après 6 mois de galère avec son nouveau prestataire. « On m'avait dit que ce serait 30% moins cher. Au final, c'est 30% plus cher ET ça ne fonctionne pas. » La réalité terrain, c'est que le moins-disant est rarement le mieux-disant.
Comment budgéter correctement son infogérance
Après 40+ missions d'accompagnement, j'ai développé une méthode simple pour estimer le budget réel. Ce n'est pas une science exacte, mais ça évite les mauvaises surprises.
Ma méthode de budgétisation
-
1
Prenez le devis mensuel du prestataire
C'est votre base de calcul (exemple : 5 000€/mois)
-
2
Ajoutez 25% pour les hors-forfait prévisibles
Projets, évolutions, interventions exceptionnelles (exemple : +1 250€)
-
3
Ajoutez 10% pour les imprévus
Il y en a TOUJOURS (exemple : +500€)
-
4
N'oubliez pas le setup initial
À amortir sur la durée du contrat (exemple : 8 000€ / 36 mois = 222€/mois)
Budget réaliste = 5 000 + 1 250 + 500 + 222 = 6 972€/mois
Soit +39% par rapport au devis initial de 5 000€
Conseil important
Présentez ce budget réaliste à votre direction AVANT de signer. Un budget sous-estimé qui dérape, c'est une perte de crédibilité pour vous et une source de tension avec le prestataire.
Infogérance vs équipe interne : la vraie comparaison
La question qu'on me pose souvent : « Est-ce que c'est moins cher que d'embaucher ? » La réponse est nuancée. Mais voici une comparaison honnête pour une PME de 80 postes.
Équipe interne
- 1 technicien (salaire chargé) 3 800€/mois
- Formation continue 250€/mois
- Outils / licences 400€/mois
- Astreinte externalisée 600€/mois
- Provision remplacement/maladie 300€/mois
- Total 5 350€/mois
Infogérance externalisée
- Forfait infogérance (80 postes) 4 000€/mois
- Supervision 24/7 incluse —
- Expertise multi-domaines —
- Hors-forfait prévisibles 1 000€/mois
- Imprévus (provision) 400€/mois
- Total 5 400€/mois
Sur le papier, c'est équivalent. Mais la vraie différence n'est pas dans le coût mensuel. Elle est dans la flexibilité, la couverture du risque (maladie, démission, obsolescence des compétences), et l'accès à des expertises que vous ne pourriez pas avoir en interne avec un seul technicien.
(Ça dépend vraiment de votre contexte, mais en général, l'infogérance devient économiquement intéressante à partir de 50-60 postes, et clairement avantageuse au-delà de 100.)
5 leviers pour optimiser votre budget
Négociez le périmètre, pas le prix
Un prestataire qui baisse son prix rognera sur la qualité de service. Demandez plutôt d'inclure des prestations supplémentaires à budget constant.
Demandez un forfait projet annuel
Plutôt que de payer chaque intervention au TJM, négociez une enveloppe annuelle de jours à tarif dégressif. Ça vous force à anticiper, mais c'est moins cher.
Plafonnez l'indexation
3% max par an, ou clause de renégociation si l'indice dépasse un seuil. En 2023, l'indice Syntec a dépassé 5%, certains clients ont eu des surprises.
Mutualisez avec d'autres PME
Certains prestataires régionaux proposent des tarifs groupés pour des PME du même secteur géographique ou métier. Ça peut représenter 10-15% d'économie.
Faites-vous accompagner pour la négociation
Un consultant indépendant connaît les marges des prestataires et les points négociables. Ses honoraires (2-5k€) sont souvent amortis dès la première année.
Le budget d'infogérance n'est pas une charge, c'est un investissement. Mais comme tout investissement, il faut savoir ce qu'on achète. Ne signez jamais sur la base d'un devis. Exigez un détail exhaustif, challengez les hypothèses, et budgétez large.
Et rappelez-vous : le prestataire le moins cher n'est presque jamais le moins coûteux sur la durée du contrat. Les DSI que je côtoie me confirment que les économies de bout de chandelle sur le contrat initial se paient toujours plus tard.
Loïc Kervella
Ex-DSI d'une PME industrielle bretonne (180 salariés, 4 sites), a vécu de l'intérieur 2 transitions d'infogérance : une catastrophique (2012-2014, grand compte parisien rigide) et une réussie (2016-2020, ESN régionale agile). A quitté son poste de DSI en 2021 après épuisement lié à la gestion de crise COVID + cyberattaque ransomware. Reconversion en consultant indépendant spécialisé dans l'accompagnement PME/ETI pour leurs choix d'externalisation IT.
Article mis à jour le
Sources et références
- Solutions Numériques - SCC détrône IBM dans le Top 3 des sociétés de services IT — Analyse du marché français
- Aymax - Classement 2024 des ESN et ICT (PDF) — Données sectorielles détaillées
- NDNM - Top 100 des ESN en France — Benchmark des principaux acteurs
- Sortlist - Sous-traitance informatique France — Annuaire et comparatif prestataires